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Sophie Scholl et la "La Rose blanche"Mihail TRISCAS Malheureusement, dans les pays à majorité orthodoxe, on ne connaît pas l’histoire du groupe de Munich, appelé par ses membres, "La rose blanche". Mais l’histoire de ce groupe peut-être très intéressante pour le public orthodoxe, car elle présente quelques caractéristiques qui la rapprochent de l’expérience politique et spirituelle d’un groupe analogue, "Le buisson ardent" de Bucarest. Récemment, un film est sorti dans les cinémas parisiens – "Sophie Scholl", un film allemand (“Sophie Scholl. Die letzten Tage”; réalisateur: Marc Rothemund; sortie en Allemagne: 24.02.2005). Le film retrace les dernières heures des trois des membres qui ont fondé "La Rose blanche". C’est un film très sobre, mais qui est loin d’être un simple documentaire sur ce groupe de résistance.
Christoph Probst (24 ans, lors de son exécution), Hans Scholl, 25 ans et Sophie Scholl, 22 ans, ont été pris dans un engrenage infernal. On les avait condamnés à mort pour donner un exemple à tous les défetistes.
A Munich où Hans devient étudiant en médicine, il rencontre encore deux jeunes gens de son âge (Willi Graf et Alexander Schmorell, à part Christoph Probst, cité plus haut) avec lesquels il partage les mêmes idées. Ils se rencontrent clandestinement, en peu dans l’esprit innocent mais frondeur de la “Jugendtschaft”. Ils lisent de poèmes, ils parlent politique à la lumière de la philosophie de Kant et de Fichte, ils sont tous inspirés par un souffle justicier et responsable. Ce qui les différencie d’autres jeunes gens vivant dans une époque de paix, c’est la guerre qu’ils ont tous vécue et qui les a rendus plus mûrs et plus graves.
* On peut discuter leurs gestes (et le plus courageux reste d’avoir bravé la funeste Cour de Justice Populaire de Munich et d’avoir crié dans l’assemblée ce que les autres pensaient tout bas), et les historiens le font presque toujours de l’angle de vue de ce qu’ils appellent, selon la mode française, “la résistance politique”. Le filme est limité dans ses moyens d’expression. Il n’a pas pu rendre hommage à cette lutte contre la lâcheté qui gagnait terrain dans les coeurs de la “Rose blanche” – on nous présente seulement le cauchemar vécut par trois jeunes après avoir fait quelque chose d’illégal en temps de dictature et de guerre. Les scènes de l’interrogatoire de Sophie sont particulièrement poignants: on essaie de déstabiliser cette jeune fille de vingt-deux ans, on la traite, tour après tour, de traîtresse, d’idéaliste, d’irresponsable, pour finalement lui donner la peine la plus lourde, peine qu’elle subit avec dignité et sérénité...
Une autre scène est particulièrement bien rendue par la caméra (c’est peut-être la plus mystérieuse d’entre les scènes du filme): juste après la sentence finale, et quelques minutes avant l’exécution hâtive, les trois sont laissés, en guise de dernière faveur, de fumer ensemble une cigarette unique; ils sont en cercle, ils fument en souriant les uns aux autres et en se regardant avec beaucoup d’intensité – ils savourent les derniers instants du dernier bonheur terrestre qui leurs est accordé; quelqu’un pourrait même dire qu’ils forment une “trinité” d’amour fraternel quant on les voit partageant avec tant de courage et d’insouciance ce menu plaisir. Ce dernier tableau les rend très vulnérables, donc, très humains – mais, par cela même (c’est-à-dire, par leur insouciance inconsciente devant la mort et par leur profonde humanité) ils semblent invincibles et tout à fait prêts pour l’éternité.
Le temps de la guerre n’est pas un temps de courage et de sacrifice pour tout le monde. Beaucoup sont ceux qui se cachent ou ceux qui profitent, ceux qui dénoncent leurs voisins ou ceux qui font des spéculations dans une économie de survivance. Il y a aussi la catégorie des “gens simples”, honnêtes, mais trop malades ou fatigués pour accomplir des actes d’héroïsme. A côté de cette multitude “La Rose blanche” semble presque une création surréaliste! Assumer ses conviction avec foi et entêtement jusqu’à la mort semble trop “romantique” de nos jours. Pourtant, ils l’ont fait et les preuves sont là. *
Mais à la fin de l’année 1943 arrive au sein de ce groupe, un starets russe, Jean l’Etranger, réfugié en Roumanie après la bataille de Rostov, sur le fleuve Don. Il avait pris les ordres dans le célèbre monastère d’Optina, qui avait inspiré des pages inoubliables à l’auteur des “Frères Karamazov”. Les membres du “Buisson ardent” n’étaient pas des jeunes gens entre 22 et 25 ans, mais des personnes mûres, respectés dans leurs domaines d’activité. La jeunesse du “Buisson ardent” consiste pourtant dans le même soif de liberté intérieure. Ils ne l’apprendront qu’après ce que Jean l’Etranger leur enseignera la discipline de la prière hésychaste, la fameuse “prière de Jésus”, la prière incessante. Mais après l’entrée des troupes soviétique à Bucarest, la situation change, et le Jean l’Etranger doit rentrer de force dans son pays. On n’aura plus jamais des nouvelles de lui. Certains des membres ont été emprisonnés avant la période 1953-1958, mais cette période représente le moment même où le nom du groupe devient l’emblème d’un fameux procès de type stalinien, “Le procès du Buisson ardent”. Ils seront tous emprisonnés pendant des longues années – certains d’entre eux ne sortiront jamais, sans qu’on puisse toutefois connaître l’endroit exact de la fosse commune où leurs corps ont été jetés. *
Avec la “Rose blanche” on comprend mieux la phrase (apparemment sibylline) du Tractatus wittgensteinien – “L’éthique c’est l’esthétique”. L’attitude essentielle de la “Rose blanche” peut être caractérisée positivement par un faux oxymore: “le courage tendre”... Ce type de courage avait ajouté à leur cause parfaitement juste un surplus de pureté, qui rend à tout jamais leurs actions plutôt éthiques que politiques. Aujourd’hui, nous le savons malheureusement trop bien, le courage ne peut être qu’agressif, musclé. Mais “La Rose blanche” et “Le Buisson ardent” nous apprennent une autre leçon, une leçon dure à assimiler, car non-violente et qui pèche, dira-t-on, par trop d’idéalisme. Mihail Triscas
Complément - photos des membres du mouvement Le buisson ardent:
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